• Maryam

     Un nouveau départ

       Léo se réveilla dans un lieu qu'il ne reconnut pas. Il se redressa, perplexe, puis se rappela que sa famille et lui s'y étaient installés depuis une semaine. Cette maison était appartenait à des amis de ses parents, mais Léo ne les connaissaient pas ; d'ailleurs, il aurait nettement préféré dormir chez un de ses amis. Ou, mieux, retourner chez lui. Il ne comprenait pas pourquoi il avait fallu partir de chez eux ; ses parents lui avaient dit que ce serait provisoire, mais Léo en doutait.

         Cette maison était beaucoup trop sombre à son goût. Il se leva, se dirigea vers la fenêtre et ouvrit les épais rideaux...

         « Léo, non ! cria une voix qui le fit sursauter. »

         Lâchant les rideaux, il se retourna. Sa mère le regardait, inquiète. Ses épais cheveux noirs, dont Léo avait hérité, étaient en bataille, elle était débraillée et avait de grosses cernes. Léo, avec un pincement au cœur, se souvint du visage souriant de sa mère lorsqu'elle le prenait sur ses genoux et qu'il pouvait alors rire aux éclats.

         « Tu ne comprends donc pas que c'est important ? lui dit-elle, exaspérée. N'ouvre jamais ni les fenêtres, ni les rideaux. »

         Son expression s'adoucit. Elle le prit dans ses bras frêles et lui caressa les cheveux.

         « Tu ferais mieux d'écouter ta mère, fit une voix grave derrière lui. »

         Il se tourna vers son père, à présent réveillé, qui le regardait d'une mine sévère.

         Léo ne l'aimait pas. Toujours à lui faire des reproches. Toujours à lui interdire de s'amuser. Toujours morne, si ce n'était en colère.

         Ce qu'il ne savait pas, c'est que son père n'avait pas toujours été comme ça. Il fut un temps où une lueur brillait dans ses yeux lorsqu'il regardait son fils. Autrefois, il savait prendre du bon temps et il faisait le métier qu'il aimait, tout comme sa femme. Leur attitude avait radicalement changée après que les Allemands eurent envahit la France : ils vivaient maintenant dans la peur. Léo avait peu voire pas de souvenirs des années qui précédaient l'Occupation, ce qui était facilement compréhensible étant donné qu'il n'avait que 6 ans à l'époque.

         Cependant, il se souvenait bien de lorsqu'il devait porter ce morceau de tissu en forme d'étoile : il ne devait jamais le quitter, qu'il soit dehors, à l'école et même, comme le voulait ses parents, chez lui ! En plus, les passants le regardaient d'une drôle de manière. Un jour, il était sorti sans et sa mère s'était fâchée.

         Son père s'étira. Au même instant, une femme grande et blonde entra dans la pièce.

         « Bonjour Suzanne, David, Léo ! dit-elle à voix basse. J'espère que vous avez bien dormi ! Je suis désolée que mon mari ne puisse vous voir ce matin. Il est parti très tôt aujourd'hui. (Son visage s'assombrit.) Il doit travailler plus dur en ces temps de misère.

    -Nous comprenons, assura Suzanne, la mère de Léo, sur le même ton. Et nous lui en sommes reconnaissant ainsi qu'à vous de nous héberger dans une situation pareille.

    -C'est tout naturel, répondit-elle d'une voix faussement enjouée. Il faut savoir se serrer les coudes. »

         Léo bailla. Il ne voyait pas l'intérêt de parler si bas.

         « J'ai faim, se plaignit-il, et je veux rentrer à la maison !

    -Chut ! s'exclama par réflexe la jeune femme, avant de se reprendre : Je crois qu'il nous reste du pain dans ce que j'avais mis de côté. Je vais aller voir. »

         Elle partit dans la cuisine. Aussitôt qu'elle fut hors de son champ de vue, David, le père de Léo, le réprimanda :

         « Ne peux-tu pas faire preuve de maturité ? Arrête de te montrer si égoïste !

    -David ! S'exclama Suzanne. Calme-toi, il n'a que neuf ans !

    -Neuf ans ou pas, s'il se comporte ainsi, il ne survira pas, asséna-t-il aussi sec. »

         Choquée, Suzanne recula d'un pas, puis se mis à protester. Léo, lui était au bord des larmes. Pas un jour ne se passait sans que ses parents ne se disputent. Le pire était lorsque cela se produisait dès le matin. D'ailleurs, Léo n'avait déjà plus faim, même s'il avait à peine mangé la veille, faute de nourriture. Suzanne finit par s'asseoir, tournant le dos à David pour qu'il ne puisse pas voir les larmes qui coulaient le long de son visage.

          La matinée se déroula dans le silence jusqu'à ce que l'on toqua à la porte. Léo bondit sur ses pieds pour voir qui était-ce mais sa mère, apeurée, le retint. Prudent, David entrouvrit les rideaux. En voyant qui se trouvait dehors, il poussa un soupir de soulagement et alla ouvrir la porte. Léo échappa à l'emprise de sa mère et le suivit dans l'entrée.

         Il reconnu le vieil ami de son père, Richard. Ce dernier leur sourit, enleva son chapeau et s'installa sur le canapé dans le salon.

         « Alors Richard, demanda David après s'être installé en face de lui. Que nous vaut l'honneur de cette visite ?

    -Je voulais juste revoir de bons amis, dit-il avec un sourire forcé (qui lui coûta apparemment beaucoup d'efforts). J'ai entendu dire que vous aviez du vous cacher, alors je vous ai cherché. Les rafles étaient de plus en plus fréquentes dans votre quartier, n'est-ce pas ?

    -C'est vrai. Et nous nous sommes fait faire de faux papiers. Nous avons aussi jugé plus prudent de retirer Léo de l'école. »

         Suzanne, pendant ce temps, faisait mine d'être occupée tout en tendant l'oreille.

         « Je suis d'accord, acquiesça-t-il. En plus, rajouta-t-il sur le ton de la plaisanterie, il y a de fortes chances que les Allemands aillent faire un tour à l'école. C'est vrai, ils en auraient bien besoin...

    -C'est dangereux de dire ça, fit remarquer David. Beaucoup de personnes disparaissent ces derniers temps. En tenant des propos comme ça, tu risques d'être le prochain. Quoique, rajouta-t-il après un temps de réflexion, nous aurons une chance d'être ensemble ; aussi déterminés qu'ils le sont, les allemands nous retrouverons certainement. »

         Suzanne se raidit en entendant ces paroles. Elle essaya d'éloigner Léo, mais celui-ci n'en faisait qu'à sa tête.

         « Je n'en suis pas si sûr, dit Richard en se redressant.

    -Quoi ?

    -J'ai entendu des rumeurs. J'ai de bonnes relations, tu sais. On raconte que les Allemands perdent la face. Ils ont perdu une bataille, il y a de cela un mois. Nos alliés les repoussent, lentement mais sûrement. »

         Suzanne était tout ouïe et ne cherchait désormais même plus à faire semblant. David, lui, se contenta de rire.

         « Tu l'as dit toi-même, ce ne sont que des rumeurs ! Tu te fais des illusions. On l'aurait su s'il y avait un espoir.

    -Il y a un espoir, intervint Suzanne. David, je pense vraiment que Richard a raison...

    -Non ! cria-t-il en se levant brusquement. Retombez sur terre ! C'est juste impossible, vous êtes tous tellement perdu que vous vous raccrochez à des illusions ! »

         Il y eu un silence. David, les yeux fermés, se rassit lentement.

         « Je suis désolé. Et je ne remets pas en question ce que tu dis, Richard...

    -Nous sommes tous sur les nerfs, dit ce dernier, compatissant. Mais nous nous en sortirons, tu verras. »

         Puis ils continuèrent à parler comme si de rien n'était. Léo en avait plus qu'assez d'être ignoré et trouvait cette conversation d'adultes particulièrement incompréhensible. Au moment où il envisageait sérieusement de filer dehors en douce, Richard regarda sa montre et dit :

         « Il est temps que je m'en aille. Il m'est de plus en plus difficile de rentrer chez moi sans encombre, ces derniers temps, avec tous ces policiers.

    -Je t'accompagne, proposa David à la surprise de tous. Je connais un raccourci, tu pourras rentrer plus facilement.

    -Ce n'est pas une bonne idée, avertit Suzanne.

    -Tout va bien. Je rentrerai vite, promit-il, confiant. »

         Suzanne, malgré un mauvais pressentiment, ne tenta plus de le retenir ; les deux hommes enfilèrent leur manteau et sortirent.

         Contrairement à elle, Léo était furieux. Pourquoi son père pouvait-il aller dehors et pas lui ? C'est pourquoi il décida, sans rien dire à personne, de suivre son père et Richard. Profitant d'un moment d’inattention de sa mère, il sortit discrètement.

         Il faisait encore froid en ce début de mois de mars, et Léo frissonna dans son léger manteau. Il se cachait dès qu'il croisait quelqu'un, trouvant cette filature amusante. Il entreprit de retrouver la trace de David et Richard, mais cru se perdre à un moment ; heureusement, il reconnu de loin leur silhouette et se cacha derrière un coin de mur.

         Léo jeta un coup d’œil. Cependant, il ne comprit pas ce qu'il vit : son père et Richard parlaient avec deux hommes qui faisaient froid dans le dos ; ils faisaient de grands gestes et avaient l'air d'être en train de se disputer. Quelque chose clochait. L'angoisse lui serrant la gorge, il voulu se rapprocher, quand soudain...

         PAN ! PAN !

         Deux coups de pistolets. Alors, pétrifié sur place, Léo vit son père tomber comme au ralenti tandis que Richard se mettait à courir, poursuivit par les policiers. Reprenant brusquement ses esprits, Léo, effrayé, se mit à courir, plus vite qu'il ne l'avait jamais fait. Tout autour de lui se fondait en brouillard, mais peut-être était-ce à cause des larmes qui roulaient le long de ses joues. Enfin, hors d'haleine, il arriva chez... Non. Il n'était pas chez lui. Il était chez une personne qui n'était pas assez terrifiée par ce qu'il pouvait se produire dehors pour les accueillir.

         Dès qu'il fut entré, sa mère se précipita vers lui.

         « Mais où étais-tu donc passé ? hurla-t-elle, oubliant pour une fois d'être calme. »

         Elle remarqua alors l'expression de son fils. Et elle comprit. Suzanne le serra alors dans ses bras et ils pleurèrent à chaudes larmes ; Léo, inconsolable, était assaillit de souvenirs de son père lors de bons comme de mauvais jours. Il prit conscience à quel point il avait été là pour lui, à quel point il tenait à lui.

         « Léo ? murmura Suzanne. Je veux te dire une chose. A présent... on va certainement nous retrouver. Et à ce moment là, je ne serais moi non plus plus là pour toi. Mais il faut que tu te souviennes... (Sa voix s'étrangla.) ...que tu te souviennes que le pire, ce n'est pas de se faire attraper. Le pire est de vivre dans la peur de se faire attraper. Ne perd jamais espoir, et sois fort, Léo. »

         Le soleil se couchait. Léo n'avait pas remarqué à quel point la journée avait filée vite. Mais, à cet instant, il sut qu'il se souviendrait toujours de ce jour comme un nouveau départ. Quoiqu'il puisse arriver.

     

    Déportés juifs au camp de Drancy


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